La précarité du corps enseignant au Cameroun

Etat des lieux 2015‑2025

 

Résumé

Depuis une décennie, la profession enseignante au Cameroun est en proie à une précarité multiforme : accumulation d’arriérés salariaux, conditions matérielles délétères, affectations dans des zones à haut risque sécuritaire et inégalités criardes de déploiement du personnel. Cette note synthétise les données officielles, les rapports d’ONG et les travaux académiques publiés entre 2015 et 2025 afin de dresser un panorama chiffré et sourcé de la situation.

  1. Chronologie des arriérés de salaire (2015‑2025)


Malgré l’effort budgétaire, le rythme de liquidation (≈ 5 Mds/mois) reste insuffisant pour résorber totalement la dette d’ici fin 2025 si de nouveaux rappels apparaissent [Calcul de l’auteur d’après MINFI 2025]. Les arriérés agissent comme un facteur de démotivation majeur et alimentent la défiance syndicale.


 2. Impact humain et stratégies de survie

  • Non‑paiement prolongé : certains contractuels n’ont « pas touché un franc depuis 9 à 10 ans » [The Guardian Post, 15 sept. 2023].

  • Micro‑crédit usuraire et pluriactivité : 72 % des enseignants grévistes déclarent exercer un second emploi informel [Enquête OTA, 2024].

  • Exode professionnel : depuis 2018, plus de 6 300 enseignants se sont reconvertis dans d’autres secteurs [CNPS, 2025].

    Témoignage OTS : « Notre collègue Hamidou est mort après 10 ans de service sans matricule » [Africanews, 2022].


3. Conditions de travail et environnement scolaire

 3.1 Surcharge des effectifs

  • Primaire (national) : 77 élèves par salle de classe en moyenne ; pic de 110 dans la région du Nord [GPE‑ITAP, 2023].

  • Ratio élèves/enseignant financé par l’État : > 110 au Nord et à l’Extrême‑Nord [GPE‑ITAP, 2023].

3.2 Infrastructures dégradées

Étude de cas — Bangshie, Bamendankwe (Bamenda I, région du Nord‑Ouest) :

En octobre 2023, un bloc vétuste de deux salles de classe s’est effondré avant le début des cours ; aucune victime n’a été signalée [NRC, 10 avr. 2025]. Faute d’espace, les enseignants ont dû fusionner deux niveaux par salle, déclenchant un décrochage scolaire notable et la suspension temporaire de plusieurs collègues pour raisons de sécurité [NRC, 2025].

Grâce à un financement conjoint NRC–SIDA, deux nouveaux blocs de quatre classes chacun (30 bancs par salle) et un bloc de quatre latrines sexospécifiques ont été réalisés en moins de trois mois et livrés au premier trimestre 2025 [NRC, 10 avr. 2025]. Depuis avril 2025, l’école fonctionne de nouveau à pleine capacité (≈ 300 élèves) et l’intégralité du corps enseignant a repris ses activités, appuyée par des modules d’hygiène (CHAST) et de soutien psychosocial (Better Learning Programme) [[NRC, 2025](https://www.nrc.no/pers

3.3 Financement et masse salariale : le paradoxe

  • Part budgétaire affichée : 80–85 % du budget éducatif est imputé à la masse salariale, mais ces crédits ne se traduisent pas toujours en salaires effectivement versés. Des audits MINFI–Banque mondiale (2021) estiment qu’environ 17 % de cette ligne finance des charges fixes hors salaire (cotisations retraite, primes d’assurance, intérêts sur rappels) et que 5–10 % sont captés par des « agents fictifs » ou des doublons administratifs [MINFI/BM, 2021].

  • Investissement comprimé : seulement 3–6 % du budget reste disponible pour les infrastructures, les manuels et la formation continue [GPE‑ITAP, 2023].

Pourquoi cette incohérence ?

  1. Centralisation des crédits : les salaires sont mandatés à Yaoundé ; tout retard de matricule bloque la mise en paiement mais l’enveloppe budgétaire reste comptabilisée.

  2. Arbitrages budgétaires en cours d’exercice : pour contenir le plafond global, le Trésor « lisse » la trésorerie en différant les nouveaux recrutements et en étalant les rappels, d’où le non‑versement effectif à court terme.

  3. Conflation salaires / rappels : les rappels dus sont inscrits sur la même ligne comptable que les salaires courants, ce qui gonfle artificiellement la part affichée sans améliorer la trésorerie des enseignants.

  4. Fuites et sureffectifs : les contrôles physiques (opération « cleansing » 2018, réactualisés 2021) estiment à ≈ 12 000 agents le nombre d’enseignants inexistants ou décédés toujours payés, pour un surcoût annuel de 30 Mds FCFA [Banque mondiale, 2022].

3.4 Matériel pédagogique et fournitures

  • Manuels : < 1 manuel pour 3 élèves dans 7 régions sur 10 [RESEN, 2022].

  • Équipement de base : retard moyen de 9 ans pour remplacer un tableau noir (Enquête OTS, 2024).


4. Affectations en zones d’insécurité et fermeture d’écoles

Conséquences :

  • Fuite du personnel : plusieurs milliers d’enseignants demandent des réaffectations ou abandonnent le poste [GPE‑ITAP, 2023].

  • Inégalités de déploiement : seulement 30 % de l’allocation des enseignants expliquée par les besoins réels ; les zones prioritaires (ZEP) restent sous‑dotées [GPE‑ITAP, 2023].

  • Mesures en cours : projet de cartographie scolaire numérique et création d’**indemnités de **hardship dans le cadre du SSEF 2023‑2030 [SSEF, 2023].

5. Initiatives et politiques publiques récentes

  1. Apurement de la dette : plan triennal 2022‑2025 [MINFI, 2025].

  2. Réforme de la gestion des carrières : dématérialisation des dossiers, promesse d’un délai maximal de 6 mois entre titularisation et premier salaire [MINESEC, 2024].

  3. Incitations à la mobilité : majoration de 30 % de l’indemnité de logement pour les postes en zone rouge [Projet de décret, 2024].

  4. Partenariats ONG‑gouvernement : programmes WASH & PSS (NRC, UNICEF) pour améliorer l’environnement d’apprentissage [NRC & UNICEF, 2025].


Conclusion

Malgré les décaissements records engagés depuis 2022, la précarité du corps enseignant camerounais demeure structurelle. Elle se nourrit d’un triptyque : instabilité salariale, conditions de travail dégradées et déploiement inéquitable. Sans réforme systémique associant financement durable, gouvernance RH transparente et sécurisation des zones d’affectation, la résilience du système éducatif restera fragile.


Bibliographie sélective







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